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Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945): Témoignage Oungre Jérôme

09/04/2013 - Lu 3900 fois
"N° double 96-97"
"Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945). "Témoignages"


Je suis né à Metz, j’ai fréquenté le Lycée à Metz, puis à Sainte-Foy, ensuite au Puy-en-Velay (où nous avions atterri après notre fuite de Ste-Foy) et c'est dans ce dernier Lycée que j'ai obtenu mon baccalauréat. Après la guerre, je suis rentré à Metz pour aider mon père dans sa profession (approvisionnement en matières premières pour l'industrie sidérurgique) ; j'ai abandonné l'idée de poursuivre des études. Quelques années après le décès de mon père (1952), j'ai quitté l'affaire familiale et continué, pour une grande Société française, la seule activité que j'ai toujours eue, d'abord à Marseille pour créer une filiale de cette Société, et depuis 1965 à Mi1an, où, toujours pour cette même Société j'ai créé une filiale italienne.

 

 
 
La lointaine origine de ma famille est à rechercher en Hongrie d’où le premier ancêtre connu en France, Elie Honger, est venu s’établir en Lorraine où il a fondé famille et y est décédé en 1690. Nos ancêtres ont ainsi vécu en Moselle, terre de conquêtes, tantôt française, tantôt allemande, d’où des variations incessantes du nom de famille (Ungre, Hongre, Unguer, Hunguer,Ounger…).
Le 10 mai 1940, jour de l'offensive de la Wehrmacht, nous sommes partis précipitamment de Metz pour fuir l'avancée allemande ; nous allions ainsi par petites étapes, ce fut la Sarthe, près du Mans, puis Muron en Charente-Maritime et finalement Sainte-Foy, vers la fin juin 1940. Nous habitions d'abord dans un appartement sur une place, dont j’ai oublié le nom, près de l'avenue de la Gare, ensuite dans un appartement situé derrière la Mairie. Mon père s'appliquait à nous faire vivre sur « ses réserves » et avec une allocation de 10 francs d'alors par famille et par jour, gracieusement offerte à tous les réfugiés par la Mairie de Sainte-Foy. Afin de me procurer quelque argent de poche, pendant les vacances scolaires et selon les saisons, j’ai fait les vendanges et travaillé comme aide-maçon (si je me souviens bien, dans les chais d'un négociant de l'époque, Grenouilleau, et pour une entreprise de travaux publics, Ceretti)
 
Mes années à Sainte-Foy ont été vécues sous le signe de l'insouciance, due aux 15 ans d'âge que j'avais  à l’époque, et sans avoir encore la perception du danger que pourrait me créer le fait d'être de confession israélite.
Sainte-Foy a été pour moi, paradoxalement, une période heureuse de ma vie; d'abord parce qu'elle constituait, géographiquement, un réel dépaysement : je me retrouvais dans une région presque méridionale, à vocation agricole, totalement différente de ma Lorraine natale, souvent froide, austère et industrielle. Ensuite parce que je n'ai pas subi le traumatisme de l'absence de familiers et d'amis d'enfance, ayant déjà quelques membres de ma famille qui nous y avaient précédés,et ayant immédiatement pu me lier d'amitié, grâce au Lycée, avec des jeunes Foyens. Bien sûr, tout n'était pas franchement rose, notamment pour ce qui concernait l'alimentation et les approvisionnements en général, les cultures de la région étant orientées presque exclusivement sur la vigne et le tabac, et moins sur d'autres produits qui auraient pu servir de monnaie d'échange contre des denrées plus utiles à notre bien-être, et en ce qui concerne ma génération, sa croissance. Parcourir la campagne à bicyclette pour aller de ferme en ferme mendier quelques oeufs ou un peu de lait, dans le fond, c'était divertissant pour un garçon de 15 ans, et cette activité contribuait à créer ce climat d'insouciance que je citais plus haut.
A Sainte-Foy, nous nous sentions en sécurité - la région faisait partie de la « zone libre » et les 50 kilomètres qui nous séparaient de la « zone occupée » nous semblaient une barrière infranchissable à la barbarie (n'ayons pas peur des mots) des troupes allemandes. Nous nous sentions sûrs, également parce que nous ne rencontrions chez les Foyens aucune haine, ni même aucun sentiment inamical envers les « intrus » que nous représentions
 
A l'époque, être Juif à Sainte-Foy ne faisait pas de nous des parias, mais des "frères" éloignés de chez eux pour éviter les exactions que l'antisémitisme avait déclenchées du Rhin à l'Oural. Les Foyens n'étaient pas antisémites, la Milice, de triste mémoire, créée plus tard qu'ailleurs n'y avait pas encore entrepris sa triste besogne, et les Allemands, tellement... loin (50 kms, pieuse illusion!). Alors nous étions tranquilles, pouvions vivre « comme tout le monde », libres de nous considérer des autochtones de Sainte-Foy-la-Grande.
Mais une nuit, ma famille et moi entendîmes une sinistre rumeur : celle des bottes allemandes martelant les pavés de la Place de la Mairie, où nous logions. La peur des uniformes vert-de-gris, et de tout l'appareil qui suivrait cette invasion de la zone libre fit que le lendemain nous prîmes nos dispositions pour aller vers d'autres cieux que nous espérions plus accueillants (vaines illusions!).
De manière générale, l’attitude des Foyens envers les réfugiés fut excellente. Grâce à eux, j’ai échappé, provisoirement, aux épreuves de l'Occupation que j’ai connues au Puy-en-Velay en Haute-Loire, à la suite de notre séjour à Sainte-Foy.


[1] Témoignage de Monsieur Jérôme Oungre recueilli par Jacques Puyaubert le 3 mars 2010
 

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