Né le 12 janvier 1926 à Sainte-Foy-la-Grande, d’un père ouvrier maçon et d’une mère employée de commerce, Jean Lamothe a suivi toute sa scolarité sur place, école Paul Bert puis école Primaire Supérieure (EPS). Il a passé une partie de sa carrière d’instituteur agricole en Algérie en passant par le centre de formation de Philippeville, 3 ans en Kabylie, puis le Sud (oasis des Zibans et le Souf) de 1949 à 1962 et, enfin, 2 années à Alger après l’indépendance. De retour en France, il est affecté à Montguyon ; il enseignera au collège de Sainte-Foy-la-Grande de 1974 à 1981.
« Sous l’Occupation, j’étais élève de l’école Primaire Supérieure dirigée par Emile Herpe. C’est là que j’ai fait la connaissance de nombreux garçons et filles israélites, tous de mon âge ou presque, qui étaient mes camarades. Parmi eux, je peux citer René et Bernard Raswhing, des jumeaux qui étaient dans ma classe à l’école Première supérieure et habitaient comme nous rue Denfert-Rochereau. J’ai appris, après-guerre, qu’ils avaient monté une entreprise de récupération de métaux à Nancy.
Les autorités françaises, la Milice de Périgueux vraisemblablement, ont réquisitionné des jeunes - dont une vingtaine de Foyens parmi lesquels je me trouvais - pour effectuer le drainage de la vallée de la Beune, entre les Eyzies et Sarlat. Là, le travail se faisait par équipes de deux ; mon ami Emile Pinaud faisait équipe avec un frère Raswhing pendant l’été 1943, Marcel Décombe avec Scalmana et moi-même avec Guy Verrière.
Je peux citer également Gilbert Bouaknin - la seule famille juive installée ici avant-guerre -, Jean-Charles Jacob et sa sœur, Jacques Tolub, Jérôme Oungre et André Lévy, récemment décédé. Les enfants Alambic aussi, le fils et la fille Rachel, qui ont perdu leur père massacré en 1944 à Souleiou. Une élève juive, dont le nom échappe, fréquentait l’école primaire avec mon épouse ; elle était cachée le reste du temps à l’orphelinat, à l’emplacement de la crèche actuelle.
Parmi les autres familles juives réfugiées à Sainte-Foy, se trouvaient de nombreux Bordelais qui se sentaient en sécurité de l’autre côté de la ligne de démarcation. Du reste, à mon avis, c’est pour cette raison que les Juifs ne dissimulaient pas leurs noms ; ainsi, les Meyer, marchands de vêtements dans la grande ville girondine. Je me souviens également de Monsieur Naphtalison, docteur en médecine ; comme il avait épousé une goy, il était apparenté avec une famille foyenne, les Durive, qui l’ont caché dans les périodes critiques. Il vivait du reste très discrètement. On a su, au moment du débarquement, qu’il appartenait à l’Armée secrète ainsi qu’un commerçant foyen ; nous fûmes désignés, avec Pinaud, pour les prévenir que le moment de l’action était venu. Nous ne le vîmes jamais.
Il y eut quelques incidents parlants à l’école qui nous ont éclairés sur l’engagement du directeur, Emile Herpe. Il avait pris parmi ses professeurs un dénommé Lévy, conservateur de musée ou peut-être bibliothécaire à l’origine, fort lettré, dont il avait fait un enseignant de latin. Les élèves lui en ont fait voir. Un jour, un professeur de mécanique, Bouchereau - fusillé à la Libération après jugement à Périgueux - est revenu du Vercors où il avait participé aux combats contre le maquis du côté de la Milice. Dans la cour, les élèves lui ont fait une bronca ; nous sommes restés immobiles et progressivement nous avons fait la sirène de plus en plus fort pour montrer notre hostilité à ce chef milicien. Monsieur Herpe l’a appelé dans son atelier et nous n’avons plus eu à faire à lui. Le directeur nous a ensuite convoqués sans nous désavouer mais pour nous dire que nous pourrions être plus utiles en intervenant autrement pour résister à l’occupant. Il voyait que nous cherchions à agir, aussi nous a-t-il donné des conseils pour canaliser notre énergie.
A la fin de l’entrevue, Herpe nous a gardés, Pinaud, Décombe et moi-même pour nous montrer une carte d’État-major ; il nous a montré le piton de Ponchapt. Selon ses dires, nous devions servir de guides à vélo pour les 80 000 parachutistes anglais qui devaient être largués sur la région. Nous avons compris plus tard que les Alliés avaient monté un bobard destiné à immobiliser sur place les troupes allemandes afin de ralentir les renforts destinés à contenir le débarquement de Normandie.
J’étais alors en contact avec Jean Delourme, secrétaire de mairie à Saint-Nazaire, qui confectionnait des faux papiers en utilisant l’identité de prisonniers de guerre décédés en Allemagne. Comment faisait-il ? Je l’ignore. Ainsi, grâce à Delourme, j’ai pu procurer des papiers à un gars qui vivait route du Pont-de-la-Beauze et qui était un peu « paumé ».
Le fils Alambic a distribué des tracts que l’on clouait aussi en douce sur les portes. Le 6 juin 1944, avec mes amis, Emile Pinaud et Marcel Décombe, j’ai rejoint le groupe Z de Moressée, un Belge, chef local des groupes AS. Ici, il n’y avait pas de FTP qui étaient plutôt actifs en Dordogne. J’ai passé l’été 44 dans le maquis, d’abord dans les bois de Fraisse, que nous connaissions bien, puis nous nous sommes repliés sur Monfaucon alors que le gros de la troupe s’est dirigé vers Sarlat. Notre petit groupe foyen est resté sur place, nous étions une bonne centaine. Il y avait eu un parachutage tout près mais nous l’ignorions. Grâce à Monsieur Durand, le patron de la tuilerie au Fleix, qui connaissait bien tous les trous d’argile, nous avons déterré des centaines d’armes cachées dans une excavation. Il y avait là des containers renfermant des mitraillettes Sten, des munitions, un fusil antichar, 3 ou 4 mines et plusieurs bidons de plastic.
Nous avons utilisé ces explosifs sur la route de Mussidan pour protéger notre position. Nous craignions que les Allemands n’arrivent depuis Mussidan ou Bergerac. En réalité, ils sont arrivés du Sud, de Marmande. Dans la route nous faisions des trous en quinconce, bien visibles, dissimulés par du gravier à l’exemple des mines, avec des pots de fleurs, de manière à les obliger à s’arrêter et à déminer, ce qui les freinerait et nous donnerait le temps d’agir en conséquence. Nous avons utilisé le plastic pour faire sauter le pont sur le Coutou et le pont sur le Seignal. Un des artificiers qui préparaient les charges, Robert Desbordes, est mort récemment.
Engagé dans les FFI, je suis parti vers la poche de Royan de Juillet 1944 à mars 1945 ; puis, le 9 mars 1945, je me suis engagé dans l’armée. D’abord affecté au CIAB de Val d’Aon, près de Besançon, puis au 4ème RCA jusqu’à la démobilisation.
C’est pourquoi, pendant la bataille de Sainte-Foy, j’étais en dehors de la ville, côté Pont de la Beauze. On a su tout de suite qu’arrivait une colonne allemande venant de Marmande. Elle remontait vers le front de Normandie. Ce n’est qu’après coup que j’ai eu connaissance de l’affaire des Juifs et du massacre de Souleiou. D’après les ouï-dire, le garde champêtre, Chabre, a désigné un israélite dans la rue, ce qui a provoqué la mort de cet otage. Pourquoi les Allemands et les Miliciens sont-ils venus chercher des Juifs à Sainte-Foy ? Certes, il y avait eu auparavant les représailles allemandes contre les gendarmes afin de venger la mort du collaborateur milicien Verdier. Les deux affaires sont-elles liées ? Pourquoi un tel massacre ?
[1] Témoignage de Jean Lamothe recueilli par Jacques Puyaubert le 28 janvier 2010
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