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Elisée Reclus (1830-1905)

13/05/2010 - Lu 6645 fois
Article de Jeanne Vigouroux

 

 

 

 

Elisée Reclus, fils du pasteur Jacques Reclus et de Zéline Trigant, est la célébrité la plus connue de Sainte-Foy-la-Grande où il naquit en 1830. Ses capacités intellectuelles étonnantes mises au service de la géographie, son talent remarquable d’écrivain, sa générosité naturelle et son engagement indéfectible dans les rangs des anarchistes en font un être d’exception. Certes, son action politique l’a éloigné des instances universitaires françaises, mais il a été très tôt reconnu et honoré par ses collègues dans le monde entier, des Etats-Unis au Japon. Depuis une trentaine d’années, Elisée Reclus bénéficie d’une reconnaissance posthume en France même ; ses œuvres sont rééditées, lues, commentées à l’Université et dans le monde littéraire. Le courant écologique, dernier venu sur la scène politique, le considère comme un précurseur.


 

Protestant malgré lui

Issu d’une grande famille protestante, Elisée, devait être pasteur comme son père. Elevé tour à tour par ses grands-parents à La-Roche-Chalais (1831-1838), par ses parents à Orthez (1838-1844), par son oncle et sa tante (les Chaucherie) à Sainte-Foy-la Grande (1844-1848) il fréquente ainsi qu’Elie son frère aîné et bien aimé, les institutions protestantes : les Frères moraves en Rhénanie (1843), le collège protestant de Sainte-Foy (1844-1848) et enfin la faculté de théologie de Montauban. De cette ville, les deux frères, accompagnés d’Edouard Grimard, futur grand botaniste, gagnent la Méditerranée au cours d’une escapade très mal vue par les autorités de la faculté de théologie. Dès 1849, Elisée perd la foi et renonce à devenir de pasteur, au grand désespoir de son père qui a été un grand mystique. En dépit de ces divergences profondes Elisée continue à le respecter ; il entretient par ailleurs une correspondance suivie avec sa mère, remplie de sollicitude pour son fils « prodigue ».


 

Aventurier

Dès 1851, Elisée et son frère Elie, républicains convaincus, se rebellent contre le coup d’État de Napoléon III et s’enfuient à Londres pour échapper à la répression. Commence alors pour Elisée une vie d’aventures et de mésaventures, période où il vit de maigres ressources. Une grande partie de ce temps, il est précepteur auprès de jeunes enfants de famille aisée à Londres puis en Louisiane. Il expérimente aussi la condition paysanne en Irlande puis en Colombie. Dans ce pays, il vit comme un aventurier de son époque, victime de profiteurs et des rigueurs de la nature, tantôt dans un rêve, tantôt dans un cauchemar.


 

Géographe

Elisée Reclus a découvert la géographie universitaire à Berlin (1850) avec le grand géographe Ritter, digne successeur de Humboldt à l’Université libre.

De retour à Paris (1857) après ses aventures américaines, Elisée met à profit ses expériences en rédigeant de nombreux articles pour des revues (ex : La Revue des Deux Mondes). Il est aussitôt apprécié pour son style et pour ses évocations de paysages et d’hommes d’autres contrées. Dès 1858, il entre à la Société de Géographie. Jeune marié (en 1858) avec Clarisse Brian, quarteronne de Sainte-Foy-la-Grande, il gagne sa vie en rédigeant les célèbres Guides Joanne pour la maison Hachette. A cet effet, il sillonne la France pour se documenter. Il emprunte tous les moyens de transport, sans abandonner pour autant la marche à pied, une habitude acquise depuis l’enfance.

De manière plus scientifique, Elisée jette les bases de la géographie humaine et sociale la plus apte à saisir l’alchimie de la relation entre l’être humain et le monde en publiant le premier ouvrage d’ensemble qui lui vaut d’emblée une renommée internationale : La Terre (1867).

Réfugié en Suisse pour raison politique (voir ci-après), Elisée se lance dans la rédaction et la publication (de 1875 à 1894) de la Nouvelle Géographie Universelle qui connaît tout de suite un vif succès. Pour réaliser cette tâche hors du commun, il voyage, il collecte de multiples informations dans des bibliothèques, auprès de correspondants et de sociétés locales de géographie ; il demande à des spécialistes comme Charles Perron de réaliser les cartes.

Professeur à l’Université nouvelle de Bruxelles, il conçoit pour l’Exposition universelle de 1900, le projet d’un globe terrestre immense, malheureusement impossible à réaliser pour des raisons techniques et financières.

Son neveu Paul fait paraître en 1908 l’ouvrage posthume d’Elisée, L’Homme et la Terre, une somme géographique et philosophique qui ouvre de nombreuses pistes sur les aménagements de l’espace par l’homme.


 

Anarchiste

Très tôt, Elisée et son frère Elie font profession d’anarchisme. Pour Elisée, la liberté est le fondement de l’être humain dans son essence et dans sa vie sociale (familiale, politique, économique). Les deux frères fréquentent les milieux socialistes, anarchistes, à Londres puis à Paris où ils deviennent amis de Bakounine (1864). Ils adhèrent à la Fraternité internationale que ce dernier a fondée comme à la section des Batignolles de l'Association Internationale des Travailleurs (fondée par Marx en 1862).

En 1870, Elisée Reclus s'engage pour défendre la jeune République contre la Prusse dans la compagnie des aérostats, dirigée par Nadar. Dès le début de la Commune de Paris, le 18 mars 1871, il s'enrôle comme simple soldat dans les bataillons des Fédérés. Elisée est arrêté, emprisonné et jugé. Grâce au soutien de la communauté scientifique internationale mobilisée par la Société de géographie, il échappe au bagne en Nouvelle-Calédonie et il est condamné au bannissement.

Exilé en Suisse, il poursuit ses activités politiques au sein de la Fédération jurassienne (réunions, articles de revues, soutien financier, etc.). Il assure la publication des oeuvres de Bakounine en français. Kropotkine, autre grand anarchiste russe, le seconde régulièrement dans son travail de géographie et dans son activité militante. Lors de ses déplacements Elisée rencontre de nombreux camarades anarchistes originaires du pays qu’il visite ou exilés.

A l’instigation de Pierre Kropotkine, en 1881, le congrès international anarchiste de Londres proclame la stratégie dite "propagande par le fait" (pour se joindre aux écrits et aux paroles). Elle devait se trouver sur le terrain de l'illégalité, avec des moyens en adéquation avec le but révolutionnaire qu'était le communisme libertaire. Kropotkine changera de position dès1887. Elisée Reclus sera soupçonné, sans aucun fondement, de participer aux attentats meurtriers (1892-1894) en France.

Elisée ne sacrifie pas ses convictions à une reconnaissance de son travail de géographe par l’Université française. Rentré en France (1890) il repart en exil à Bruxelles (1894) où sa présence suscite aussi une polémique. L’Université libre de Bruxelles qui l’avait appelé renonce à l’employer. Une Université nouvelle est créée pour lui permettre de professer.


 

Elisée Reclus, penseur et acteur du monde, anarchiste et géographe, intègre et généreux, a ouvert de nombreuses pistes de réflexion pour nos contemporains.


 

Jeanne Vigouroux

                                                     

 

Elisée Reclus en 1870

 

 

 

Revue Itinéraire  Chelles

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