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Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945): Témoignage Pénisson Jacques

09/04/2013 - Lu 5787 fois
"N° double 96-97"
"Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (1939-1945). "Témoignages"


Né en 1920 à Saint-Avit du Tizac (Port-Sainte-Foy) - où il réside -, Jacques Pénisson, fils d’Émile Pénisson, maire de la commune pendant près de 25 années (1925-1947), et d’Alice née Eustache, originaire de Clairac (Lot-et-Garonne), a suivi sa scolarité à l’école du Port puis au collège de garçons, rue Langalerie à Sainte-Foy-la-Grande. Il a pris aujourd’hui, sa retraite d’agriculteur.

 

 
 
« Pendant l’Occupation, notre famille a hébergé la famille Reitman. Un réseau existait à Bordeaux pour faire passer les Juifs en zone non occupée ; dans ce cas, la filière était organisée autour d’Edith Cérézuelle, fonctionnaire à la préfecture de Bordeaux, et M. Bernier, tous deux Bordelais ; ce sont eux qui nous ont amené cette famille. En fait, la sœur de M. Bernier était fiancée à un frère de M. Reitman ; ce dernier avait alors une cinquantaine d’années. Ce cas n’était pas isolé puisque de nombreux Juifs sont venus se réfugier en pays foyen sous de fausses identités.
Sont venus chez nous, en 1942, le père - son prénom m’échappe -, la mère Charlotte et le fils Stéphane. Ils ont résidé trois mois environ, le temps de trouver au autre gîte et un emploi pour le père de famille. Ils ont ensuite eu un logement chez les Pelletan, des protestants darbistes, avenue du Périgord, à Port-Sainte-Foy. Dans cette maison, au rez-de-chaussée se tenaient du reste les assemblées cultuelles qui les protégeaient dans leur incognito de par les allées et venues de leurs membres et fidèles.
Monsieur Reitman était un intellectuel, traducteur d’une langue rare. Il était en relation avec René Pénisson, qui résidait alors à Paris (prisonnier, René P. s’était évadé de bonne heure) ; celui-ci faisait le factotum - une valise de documents lui a été volée lors d’un voyage en train ; Reitman recevait d’un prêtre parisien des textes à traduire.
M. Reitman est devenu professeur à l’école de Guyenne (en 1942-1943 comme l’atteste la photo de groupe que nous publions grâce à l’amabilité de la famille Pénisson), une couverture commode qu’a utilisée aussi Olivier Hatzfeld qui y professa dès 1941 - il avait une trentaine d’années (voir photo en annexe, Archives Pénisson) . L’école de Guyenne était alors dirigée par M. Meyer, un protestant originaire de La Rochelle. Elle fut un véritable refuge semblable à celui de Chambon-sur-Lignon, pour cacher Juifs, Résistants, réfractaires au STO… Toute l’équipe dirigeante en a assumé les risques de dénonciation.
Dans Oui c’est la guerre, mais je suis là de Odette Roulet-Le Berre, ancienne élève, nous lisons : « Or, au fil des jours et des mois, nous nous sommes rendus compte que l’école recevait des professeurs et des enfants soit Israélites soit de familles de résistants, qu’il fallait mettre à l’abri. »
Ces Juifs repliés - intellectuels pour la plupart - constituaient des recrues très appréciables pour « Guyenne ». Hatzfeld enseignait les lettres, son propre père était un grand savant. Son fils Jean, journaliste à Libération, a publié plusieurs ouvrages et s’intéresse actuellement au génocide du Ruanda. Parmi ses livres, citons Dans le nu de la vie en 2000 au Seuil, Une saison de machettes en 2003 et La stratégie des antilopes en 2007.
Les gens qui hébergeaient des Juifs prenaient des risques même si notre village était peu surveillé. Un jour, mes parents ont vu arriver des enquêteurs qui ont visité la maison et trouvé notre TSF calée sur une station de la BBC. Après une réprimande, il n’y a pas eu de suite fâcheuse.
Les Reitman ont ainsi échappé aux persécutions nazies. Cependant leur fils Stéphane a été tellement traumatisé par l’holocauste qu’il a rompu tous les liens avec ses parents jusqu’à changer de nom. A la Libération, les parents ont acheté quelque chose en Périgord puis sont allés vivre aux Etats-Unis ; Mme Reitman a travaillé dans un service d’archives à Washington.
Pour ma part, après la guerre, j’ai rendu visite aux parents d’Olivier Hatzfeld qui vivaient à Tulle où je faisais mon service militaire ; je gardais des prisonniers allemands que j’accompagnais également dans toute la France. Leur jardin étant envahi d’herbes folles, je leur ai proposé de leur trouver quelqu’un pour l’entretenir. C’était, naturellement, un Allemand. A ce mot, Mme Hatzfeld s’est figée puis a refusé tout net. Elle a accepté en définitive et a eu ce mot qui m’est resté présent à la mémoire : « Ce fut possible parce que nous nous sommes parlés. »
Nous pouvons citer d’autres noms de Juifs qui ont été secourus par des Foyens : le marchand de tissus David Bouaknin qui tenait boutique en face de la mairie était protégé par Jean Corriger. Tout le monde le surnommait « Le Négro » mais en fait on savait bien quelle était sa confession, toujours est-il qu’il n’a jamais eu d’ennuis.
A la suite de G. Pasquet de Saint-Avit, Madame Germaine Guignard de Saint-Avit du Tizac a hébergé les Herrera venus eux aussi de Bordeaux.
Madame Angèle Sicard, la mère du maire (« syndic ») d’Eynesse sous Vichy, Charly Sicard, envoyait, à Mende, des colis de ravitaillement à la fiancée de Alfred Seckel, jeune Juif interné au camp de Gurs. A. Seckel a survécu et a travaillé par la suite à l’hebdomadaire  Réforme.
Sur la photo de « Guyenne », à la droite de Reitman se trouve une enseignante, Melle Nahas, une jeune fille juive.


[1] Témoignage de Monsieur Jacques Pénisson recueilli par Jacques Puyaubert le 3 septembre 2009
 

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